Souvent, quand on a une idée de projet, la première barrière, c’est la page blanche. Dans ce cas précis, j’ai eu un autre problème, « Par quel bout le prendre ? »

Se faire des outils pour soi

Une des premières prémisses de Syllabo, c’est ma fac d’anglais (Vous vous souvenez ? Je vous ai dit que je voulais être prof…). Je sortais de l’Epita, et je voulais parfaire mon anglais à cette époque. En parallèle de mon premier boulot je me suis donc inscrit en Deug de « Langues, Lettres et Civilisations Etrangères », et j'ai failli y rester, la langue me plaisant énormément. Nous avions une matière « Vocabulaire », où il s’agissait d’ingurgiter chaque semaine des dizaines de mots à connaitre, classés par thème (la vie courante, le travail, la maladie, les loisirs, …). Pour m’y aider, j’avais bricolé un petit programme qui m’interrogeait à la maison le soir… Très vite ce programme répondait à des besoins de plus en plus évolués : interrogation globale, par thème, uniquement les mots où j’avais moins de n% de bonnes réponses, etc. Et ça fonctionnait plutôt bien.

Faire des outils pour les autres

Un paquet d’années – et un enfant - plus tard, mon premier garçon (Simon), qui avait deux ans et demi environ à l’époque, me voyant souvent un livre à la main, et commençait à vouloir apprendre à lire. (Les enfants cherchent souvent à nous imiter, c'est plus facile d'apprendre à un enfant à lire si on est nous-même plongé régulièrement dans un livre, et non, cela ne va pas nécessairement de soi). J’avais bien entendu parler de la catastrophique méthode globale qui sévissait, parait-il, à l’école, et que les profs étaient devenus fous ! (Oui je me suis ravisé depuis, j’ai appris à un peu mieux connaitre le système éducatif, et que les problèmes sont à beaucoup d’endroits, mais pas forcément là. J’ai aussi compris que finalement, à avoir choisi développeur, j’étais plutôt bien loti. Au passage j'ai acquis un immense respect pour les maitresses qui s'occupent de mes garçons, canalyser des classes de 30 enfants en leur apprenant les leçons les plus importantes de leurs vies, en affrontant la bureaucratie et les changements perpétuels de l'Education Nationale, cela requiert une somme de super-pouvoirs digne des héros de Marvel).

Les méthodes traditionnelles

J’ai donc été piocher deux ou trois livres à la librairie (la fameuse méthode Boscher[1] ainsi que quelques autres comme la méthode Delile[2]). Un petit avertissement sur l'utilisation de la méthode Boscher ceci-dit : l'attention d'un enfant de 4-5 ans est encore fluctuante et sa curiosité sans limites. Le livret de la méthode au charme désuet (ça j'aime plutôt) propose sur chaque page aussi bien un ensemble de syllabes à proposer sur le moment que des petites leçons mathématiques, et l'enfant est souvent attiré par un bout de la page qui l'empêche de se concentrer efficacement. Première leçon à retenir, présenter ce qu'on souhaite montrer un élément à la fois...

methode-boscher

En quelques mois, page après page, mon garçon a appris à déchiffrer les syllabes. Lui était parfois (souvent) enthousiaste et parfois défaitiste, exprimant un sentiment de lassitude. Deuxième règle que je souhaite inoculer dans Syllabo : avec un seul livre / une seule méthode, c'est compliqué parce que l'enfant se lasse au bout d'un moment. Avec un second livre, on peut alterner lorsque l'enfant se lasse du premier : il trouvera la nouveauté bienvenue, de même que les facilités qu'il aura acquises en lisant le premier lui permettront d'apprécier ses progrès. On pourra reprendre le premier livre lorsqu'il se sera lassé du second. Dans Syllabo, il pourra commencer l'aventure avec un personnage, puis la recommencer d'une manière différente avec un second et un troisième ... Puis revenir à un personnage précédemment créé lorsqu'il le souhaitera.

dictionnaire

Retour sur l'apprentissage de la lecture de Simon : En dehors des mots qui respectaient scrupuleusement les règles, d’autres n’en faisaient qu’à leur tête, ne suivaient pas exactement les règles générales des méthodes de lecture, et c’est là que j’ai commencé à lui faire quelques bouts de petits jeux web (ce qui avait pour vertu de me former aussi personnellement aux différents frameworks du moment). En mélangeant la synthèse vocale de Google pour répéter des mots à un petit algorithme qui ressemblait furieusement à celui que je m’étais concocté 15 ans plus tôt pour mon vocabulaire d’anglais, je lui ai cuisiné des exercices qui permettaient pour les mots outils d’avoir une approche complémentaire, ce qui fluidifiait sa lecture. C’est ainsi qu’il a appris à photographier et restituer dans leur entièreté des mots comme « avec », « qui », « elle », … Ce qui lui permettrait d'apprécier plus facilement la lecture de textes, en connaissant par coeur une petite partie des mots et en déchiffrant le reste. C'est du reste ce que propose la méthode Delile, apprenant des mots-outils au fur et à mesure.

Première approche des méthodes alternatives

Un développeur procède (idéalement) de façon incrémentale, ce qui a pour vertu de transformer des projets en produits, et de faire en sorte qu’il y ait toujours une fonctionnalité à rajouter – au grand dam des chefs de projets et de leur estimation initiale pour un périmètre donné. Après avoir construit ma première trottinette, il était temps de s’essayer à la construction d’un vélo. « Ok, ca c’est pour la lecture, c’est en bonne voie, « yapuka » rajouter le calcul et le temps qu’il arrive en primaire, lire, écrire, compter, c’est plié, direction le collège » (bon d’accord ça ne marche pas comme ça et d’ailleurs il me l’a très bien rappelé au cours de ces quelques années. Je pensais qu’un enfant ça marchait comme un robot ?).

De la veille sur le sujet...

Et de là sont venus mes achats compulsifs pour tout ce qui touche de près ou de loin à la pédagogie et à l’enseignement, autant en termes de méthodologie, de politique, de contenu en fonction des époques, aussi bien modernes que plus anciennes. J’ai commencé à lire des livres de gens pas d’accord entre eux, à visionner sur Youtube des conférences (dont celles de Franck Lepage dont je parlais précédemment), des conférences TED[3], etc. (Je vous proposerai une bibliographie complète à l'occasion).

J’y ai compris deux choses essentielles. Que la meilleure pédagogie c’était la répétition. Et surtout, que la meilleure pédagogie c’était la répétition. Bon, on s’en doutait un peu déjà, l’apprentissage par cœur des poésies de Maurice Carême ça ne devait pas être nécessairement l’œuvre d’un déséquilibré sadique qui avait atterri au ministère de l’éducation nationale. (Je n’ai pas non plus dit qu’il n’y en avait pas, j’ai dévoré « Education Nationale, une machine à broyer » d'Isabelle Dignocourt, et il doit y en avoir un ou deux qui trainent dans les couloirs, grand minimum). Mais j’ai aussi finalement accepté que les enfants sont des êtres sensibles, doués de sentiments et de raison, pas uniquement des tyrans qui veulent notre peau, à toute heure du jour ou de la nuit... Que leur apprentissage dépend de leur bien-être, une leçon déjà intégrée inconsciemment dans les cours de récré par les petits caïds en culottes courtes qui tabassent les premiers de la classe derrière le grand chêne pour que ces derniers ne progressent pas trop vite tout de même, les premières leçons d'égalité et de fraternité apprises à la dure...

cour-de-recre

La méthode de Singapour

Quelques recherches sur Google plus tard, je tombais sur la méthode de Singapour, éditée à la librairie des écoles. « Les élèves de Singapour sont les plus balèzes en maths de la terre entière parce qu’ils vont du concret vers l’abstrait, les élèves français sont les plus nuls parce qu’on a eu messieurs Lang, Jospin, Bayrou, Allègre, Ferry, Chatel. Et surtout madame Vallaud-Belkacem. Surtout ». Soit, je suis plutôt d’accord, surtout pour la fin. Surtout... Je commande donc les deux premiers volumes, CP et CE1 pour regarder en quoi cela consiste : de la division dès le CP en coupant des morceaux de gâteau, Et c’est avec ça que les enfants de Singapour sont meilleurs que nos enfants français élevés à la dure et avec des notions davantage abstraites ? En fait peut-être que ça expliquerait pas mal de chose, la pédagogie pâtissière a peut-être quelques avantages ?

Montessori ?

Etape suivante, Montessori… Ah, Montessori ! Comment faire, quand on est parent et qu’on s’intéresse aux méthodes éducatives alternatives pour ne pas tomber sur la fameuse Méthode Montessori[4] ! Un terme tellement marketé et usé à la corde qu’on trouve tout ce qu’on veut, et surtout du grand n’importe quoi… Parmi les quelques discussions que j’ai pu avoir avec des amis, avec qui j’avais pu échanger sur cette idée d’application, j’ai plusieurs fois eu la question de si j’allais m’inspirer de la méthode Montessori. (Je suis à fond pour le concept au passage des écoles Montessori qui font ça sérieusement et pas comme une secte, j’aurais certainement mis mes propres enfants dans une telle école s’il y en avait eu à côté de chez moi). Sauf qu’une application vraiment « Montessori » est, à défaut d’être inenvisageable, particulièrement complexe à réaliser. La pédagogie Montessori c’est une méthode qui allie un ensemble de principes parmi lesquels:

  • Une méthode sensorielle, où l’on touche et où l’on manipule, par exemple des objets de différents poids et de différentes textures, où l’on fait des mouvements complexes (peut-être en demandant à l’enfant de sous-peser le smartphone de papa, puis la tablette de maman, et enfin la tour de l’ordinateur).
  • Une méthode où la collectivité est reine, où les enfants les plus avancés expliquent aux autres (renforçant leurs propres acquis).
  • Une méthode où les enfants s’inspirent de modèles (les parents entre autres). S’il s’agit de refiler une tablette avec une application « Montessori » à son enfant, ça commence plutôt mal.

Si vous voyez à un moment donné que Syllabo commence à être estampillée « Montessori », c’est certainement que le site se sera fait hacker, n’oubliez pas de changer votre mot de passe.

montessori

Trois principes simples

On récapitule, jusqu’ici :

  • Répéter pour creuser les sillons de l'apprentissage
  • Une éducation bienveillante dans le respect de l’enfant pour "optimiser ses circuits". Faire en sorte qu’il prenne confiance en lui, ne pas dramatiser les échecs et souligner les progrès.
  • Aller du concret vers l’abstrait.

Je tenais mes premières lignes directrices.

Décollage !

Et nous voilà déjà courant 2017…
Abbeal, la société pour laquelle je travaille depuis début 2016 ,lance un appel à projets (produits en fait), où les heureux sélectionnés profiteront de la structure de la société pour les aider à développer leur idée. Nous sommes deux heureux élus à voir notre produit sélectionné, le premier, Strabo, est destiné à devenir le AirBnB du voyage et permettra de se trouver des compagnons de voyage. Et Syllabo donc. Première étape, un démarrage avec

Première itération, la Wild Code School

la Wild Code School. Le principe est de confier à des salariés en reconversion dans une école de développement, en circuit court, des idées de projet à développer. Je collabore donc sur le produit, en tant que Product Owner avec quatre développeurs (il n’y a pas vraiment de mot pour ça dans la langue de Molière. Ma mission, c’est de fournir des mini-spécifications aux développeurs en fonction de ce que je souhaite voir dans l’application – oui c’est une simplification très grossière du métier de PO, je détaillerai le rôle dans un billet futur). Trois mois avec eux qui passent très vite, et un tout début d’embyron d’application. Même s’il ne subsiste qu’une toute petite partie du travail accompli à cette époque dans l’application telle qu’elle est aujourd’hui, cela a permis de jeter les bases de l’architecture d’une part, et de me roder dans mon rôle d’autre part. C’est également à ce moment que Yohann, un graphiste freelance nous a rejoint sur le produit. Lui est en charge de me griffonner la carte, les personnages et les lieux de l’histoire, et il continue à nous accompagner encore aujourd’hui.

Seconde itération, Abbeal Valley

Mars 2018, le second départ, le lab d’Abbeal Valley. Alexandre, un jeune dev en 5ème année d’école d’ingénieur, et Adrien, le tech lead / coach agile, avec qui je partage pas mal d’atomes crochus, prennent la relève… Je détaillerai là aussi dans un prochain billet le fonctionnement du lab…

Août 2018, nous sommes à présent avec une architecture technique solide, des pratiques éprouvés (dont je parlerai là aussi à l'occasion pour les intéressés), prêts à commencer la partie fonctionnelle.


  1. Disponible en ligne dans une ancienne version : https://bibigreycat.blogspot.com/search/label/français?updated-max=2010-07-06T02:17:00%2B02:00&max-results=20 ↩︎

  2. http://www.lire-ecrire.org/conseils-pratiques/manuels-scolaires-primaire/manuels-de-lecture-et-decriture/delile-apprendre-a-lire-pas-a-pas.html ↩︎

  3. En particulier celles de Ken Robinson que je ne peux que vous recommander: https://www.ted.com/speakers/sir_ken_robinson ↩︎

  4. La biographie de Maria Montessori : https://fr.wikipedia.org/wiki/Maria_Montessori ↩︎